Travailler de nuit : des cycles de sommeil à dormir debout !
Publié le 27/03/2019
Le bulletin épidémiologique hebdomadaire de Santé publique France se penche cette semaine sur le sommeil des Français… et le moins que l’on puisse dire c’est que le marchand de sable a beau passer, rien n’y fait. Le temps moyen de sommeil de la population s’est réduit comme peau de chagrin, grignoté par les écrans, les trajets quotidiens et le travail de nuit. Or, à ce niveau, les infirmiers et les aides-soignants demeurent parmi les professions où travailler la nuit reste particulièrement fréquent !
Le 15 mars, c’est la Journée Internationale du Sommeil, à cette occasion Santé publique France a publié un tour d’horizon sur la qualité du sommeil des Français et les données s’avèrent préoccupantes. Les enquêtes révèlent un déclin alarmant du temps de sommeil total en semaine, à présent évalué à 6 heures et 42 minutes, c’est-à-dire en dessous des 7 heures minimales quotidiennes recommandées pour permettre une bonne récupération. D’autre part, la proportion de court dormeurs (les individus dormant moins de 6 heures par nuit) ne fait que s’accroître : 35,9% des participants de l’étude rentrent dans cette catégorie. Pire encore, 27,7% de la population serait en dette de sommeil dont 18,8% de façon sévère. L’insomnie chronique toucherait 13,1% des 18-75 ans dont majoritairement des femmes (16,9% d’entre elles contre 9,1% des hommes).
La cigarette nuit… au sommeil !
Le temps de sommeil total relevé par l’étude de Santé publique France est de 6h42 en semaine et 7h26 le week end. Point positif, plus d’un quart des Français parviennent à faire la sieste pour compenser.
D’autres travaux ont révélé que les fumeurs, qu’ils soient quotidiens, peu ou fortement dépendants étaient plus fréquemment des courts dormeurs que les fumeurs occasionnels et les non-fumeurs. Les individus fortement dépendant au tabac étaient aussi plus souvent sujets à l’insomnie chronique.
Plusieurs causes peuvent expliquer cette chute du temps que passent les Français dans les bras de Morphée. Les temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail, les écrans, le bruit sont des perturbateurs connus. Un autre facteur est bien sûr le travail de nuit provoquant des dysfonctionnements du cycle veille/sommeil, engendrant un endormissement de moins bonne qualité. De même, on sait que les travailleurs nocturnes dorment une heure de moins en moyenne que les autres soit l’équivalent d’une nuit de moins par semaine, et de 40 nuits de moins par an.
Les travailleurs de nuit de plus en plus nombreux
Le recours au travail de nuit n’a cessé d’augmenter depuis des années passant de 3,3 millions de personnes concernées en 1990 (ce qui représentait 15% des actifs) à 4,3 millions en 2013 (soit 16,3% des actifs). Plus précisément, le nombre de travailleurs de nuit habituels a plus que doublé dans ce laps de temps passant de 800 000 à 1,9 million de Français. Sans réelle surprise, ce sont les infirmiers, sages-femmes et aides-soignants qui regroupent le plus grand nombre de travailleurs nocturnes habituels (les données comptabilisent 274 435 soignants qui travaillent entre minuit et 5 heures du matin). D’après les chiffres de l’étude, 122 322 aides-soignants ou professions assimilées
ont indiqué en 2013 exercer habituellement de nuit et 56,3% d’entre eux auraient des horaires fixes. En parallèle, les infirmiers, sages-femmes « et professions assimilées » étaient 152 113 en 2013 à s’identifier comme travailleurs de nuit. En revanche, contrairement aux AS, ils sont plus nombreux à exercer en horaires décalés (55,7% environ).
Ces travaux ont néanmoins plusieurs faiblesses : déjà Santé publique France a choisi de comparer des chiffres entre 1990 et 2013 malgré l’existence de données plus récentes car le mode de recueil a changé au cours du temps rendant les comparaisons difficiles. De plus, seul le travail de nuit défini entre minuit et 5 heures du matin a été pris en considération dans cette étude, or il serait intéressant d’étendre cette zone, certains soignants travaillant tard le soir ou le week-end.
Vu son ampleur, le travail de nuit pourrait à lui seul être responsable des troubles du sommeil d’une très large partie de la population.
Soignants, jouez les prolongations quand vous le pouvez !
Quoi qu’il en soit, de nombreux travaux ont montré l’impact significatif du travail de nuit sur le long terme pour la santé. Vu son ampleur, le travail de nuit pourrait à lui seul être responsable des troubles du sommeil d’une très large partie de la population. Il affecte le rythme physiologique normal calé sur l’alternance jour/nuit et a des effets notoires sur la qualité même du sommeil. Ces dysfonctionnements engendrent de la fatigue, des troubles de la vigilance et un déficit immunitaire chez ceux qui sont exposés à ces horaires difficiles. Ils sont également des facteurs de risque de pathologies métaboliques (comme le diabète de type II ou l’obésité), de maladies cardiovasculaires et de certains cancers. Face à ces conséquences sanitaires, il est nécessaire de mettre en place une veille sanitaires chez les groupes professionnels les plus exposés.
Dans un éditorial signé par le Pr Damien Léger (responsable du centre du sommeil et de la vigilance à l’Hôtel-Dieu) et François Bourdillon, le Directeur général de Santé publique France, quelques conseils sont proposés pour tenter de pallier le manque de sommeil. La pratique de la sieste se montre efficace si elle reste courte (20 à 30 minutes). Elle permet de récupérer et lutte contre l’état inflammatoire consécutif à la privation de sommeil. Il faut croire qu’à l’Hôpital d’Evreux, ils ont tous compris.
Par ailleurs, l’extension de ses heures habituelles de sommeil peut aussi limiter les effets délétères d’une dette de sommeil. Lorsqu’on ne souffre pas d’insomnie, le principe est d’étendre ses heures de sommeil quotidiennes dans la semaine qui précède la période difficile. Grâce à l’élasticité démontrée du sommeil, chacun peut prendre des réserves pour affronter les périodes de restriction
, souligne les auteurs. Plus précisément, il est préconisé de favoriser des moments de repos prolongés entre deux cycles de travail de nuit, et de se permettre de grandes nuits de sommeil préventives et protectrices de privation
. Bien sûr une activité physique régulière et une alimentation adaptée est propice au sommeil. Avoir une chambre suffisamment obscure (la lumière continue de passer au travers des paupières clauses et perturbe la sécrétion de mélatonine), silencieuse avec une literie de qualité peuvent paraître des conditions logiques pour bien dormir mais néanmoins, elles ne sont pas toujours respectées. Après tout, même les oiseaux de nuit rejoignent au petit matin un nid douillet et sombre. Ainsi, vous soignants noctambules, nous vous souhaitons une bonne journée de sommeil.
Etudier ou dormir, pourquoi choisir ?
D’après un sondage réalisé par la SMEREP (mutuelle étudiante), un étudiant sur deux montre des troubles du sommeil principalement dus au stress. Plus précisément, 39% caractérisent ces troubles par des difficultés d'endormissement et 18% avouent connaitre des insomnies. L'origine de ces maux est à chercher du côté du stress provoqué par les périodes d'examens (61% des répondants), les études (53%) ou simplement par le fait de penser à ce qu'il faudra faire demain ou dans la semaine (45%). Une problématique également visible chez les lycéens : 41% d'entre eux déclarent avoir aussi des problèmes de sommeil. Autre élément perturbateur bien connu : les écrans, notamment des smartphones, ont été évoqués par les sondés.
Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com @roxane0706