"Réparer les méchants", le récit saisissant d’un infirmier qui soigne les détenus
Publié le 05/07/2017
Soigner les détenus. Telle est la mission des infirmiers qui exercent en milieu carcéral. C’est à leur métier qu’Arte Radio a consacré un reportage sonore passionnant. Un infirmier, que nous appellerons Jean, y témoigne anonymement. Il nous permet de passer une dizaine de minutes de l’autre côté des barreaux. Âgé de 27 ans, il travaille "depuis six ans en tant qu’infirmier dans différents services de médecine" et depuis un an avec des patients qui "proviennent de centres de détention".
Les patients détenus disposent des mêmes droits d’accès aux soins que tous les autres sous réserve des restrictions liées à la privation de liberté d’aller et venir dont ils font l’objet. En effet, le préambule de la Constitution de 1946, qui appartient au bloc de constitutionnalité, garantit à tous les citoyens la protection de la santé
, souligne l’avis du 16 juin 2015 relatif à la prise en charge des personnes détenues au sein des établissements de santé. Rappelons-le. Avant 1994, la prise en charge des soins des détenus relevait de la seule compétence de l'administration pénitentiaire. La prise en charge médicale des détenus était alors assurée par un ou plusieurs médecins vacataires désignés par le directeur régional des services pénitentiaires auprès de chaque établissement. Mais les choses changent avec la loi du 18 janvier 1994, qui confie au service public hospitalier la charge d’assurer les examens de diagnostic et les soins, dispensés selon les besoins en milieu pénitentiaire ou en milieu hospitalier. Plus exactement, le décret n°94-229 du 27 octobre 1994 transfère cette prise en charge sanitaire au service public hospitalier plus apte à remplir cette mission. Sont alors mises en place de véritables unités de soins, garantissant aux détenus l’accès à un personnel médical et à une offre de soins de qualité.
Les dealers, plus difficiles à soigner que les grands criminels
Moi je ne peux pas dire qu’il y a des patients plus faciles à gérer que d’autres. Je dirais que plus le crime est grand et plus le patient est facile à gérer, respectueux et poli, ce qui est assez paradoxal
. Surprenante révélation que celle de Jean, contraire, a priori, à toute logique. Et pourtant, cet infirmier chargé de réparer les méchants
, (clin d’œil explicite du titre de ce reportage à celui d’un livre à succès), confie avoir plus de mal à soigner les jeunes dealers que les grands criminels. La catégorie de personnes que je trouve la plus difficile à soigner, c’est vraiment les dealers, les jeunes qui vont tout de suite monter dans les tours et qui sont très très nerveux (…) alors qu’une personne bien plus âgée qui a commis des actes pédophiles ou qui a tué quelqu’un, ça va être quelqu’un d’assez calme, d’assez serein, d’assez poli… et d’assez facile à gérer
, raconte l’infirmier qui, depuis un an qu’il travaille auprès des prisonniers, a fait ce constat : Au fur et à mesure que l’on évolue dans ce genre d’endroit, on va naturellement oublier que ce sont des détenus avant d’être des patients et on va les prendre en charge de manière tout à fait objective
.
Extrait du Code de déontologie des infirmiers : Non-discrimination
- Art. R. 4312-11. – L’infirmier doit écouter, examiner, conseiller, éduquer ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient, notamment, leur origine, leurs mœurs, leur situation sociale ou de famille, leur croyance ou leur religion, leur handicap, leur état de santé, leur âge, leur sexe, leur réputation, les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard ou leur situation vis-à-vis du système de protection sociale.
- Il leur apporte son concours en toutes circonstances.
- Il ne doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne prise en charge.
Et celui-ci de mettre les choses au point : Le soin, il est pour les méchants et les gentils, ça veut dire qu’on soigne tout le monde
. Une évidence sur place qui n’est pas sans soulever quelques questions plus intimes, une fois dehors. C’est sûr qu’en rentrant chez soi, on se pose des questions. Je pense que c’est normal de se demander si c’est logique et bon de soigner des gens qui ont fait le mal.
"Je dirais que plus le crime est grand et plus le patient est facile à gérer, respectueux et poli, ce qui est assez paradoxal."
Travailler selon un rythme et un rituel imposés
L’infirmier qui exerce en milieu carcéral doit apprendre à travailler selon le rythme imposé et imprévisible des allées et venues des détenus. Comme l’explique Jean, les infirmiers ne savent pas quand un patient va arriver ou quand il va repartir. On doit être prêt à pouvoir l’accueillir à n’importe quelle heure et (…) il faut qu’on gère pour que tout soit fait pour lui quand il va repartir, à n’importe quel moment. Et d’ailleurs, quand le patient a un examen, une radio, un geste chirurgical, une consultation, on ne doit pas lui dire à quel moment de la journée ce sera
. Autant de contraintes auxquelles il faut s’habituer. Tout comme au rituel qu’il faut suivre méticuleusement pour accéder aux patients. On se met à faire des choses très compliquées
, raconte Jean. Il faut arriver, attendre qu’on nous ouvre une porte, saluer un premier surveillant, attendre qu’on nous ouvre une deuxième porte qui va nous débloquer une clé qu’on aura après avoir été reconnu grâce à nos empreintes digitales, comme dans un aéroport. De là, nos affaires personnelles sont scannées, il faut encore passer plusieurs portes, on passe sous un petit portique…
Heureusement, la sensation d’enfermement
des débuts a rapidement laissé place à tout autre chose : Je compare souvent ce service hospitalier à un mini vaisseau spatial où on est un peu tous enfermés. Et je trouve ça limite convivial et chaleureux.
Et l’infirmier de dérouler, avant de livrer ses impressions, le compte-rendu du crime commis par son patient, souvent abominable. Dans le service, tout finit en effet par se savoir. Je n’ai pas à connaître, de par mon statut de soignant, le crime du patient. Le gros problème, c’est qu’on est toujours amenés à connaître la raison de leur incarcération, parce que ça peut être une personne un peu médiatique ou parce que le patient lui-même va se confier...
Une information qui ne change rien pour Jean. Pour moi ce n’est pas envisageable de ne pas m’occuper d’un patient parce qu’il ne me plaît pas.
"C’est la meilleure réponse, pour moi, au terrorisme : être terriblement bienveillant pour quelqu’un qui nous voulait terriblement du mal."
Un monde de l’ambivalence
Sur la question du terrorisme, l’infirmier s’est retrouvé face à un « certain paradoxe ». Quand il a été amené à s’occuper de patients qui pouvaient être en lien avec le terrorisme , il a d’abord eu un blocage total
, qui n’a pourtant pas duré. Finalement, quand je m’occupais de ces patients, j’avais une certaine satisfaction à le faire. C’est la meilleure réponse, pour moi, au terrorisme : être terriblement bienveillant pour quelqu’un qui nous voulait terriblement du mal
. Les cas de conscience, Jean les entend tout à fait : J’imagine bien que pour la famille d’une victime, ça doit être complètement inconcevable de savoir que le criminel qui a ruiné leur vie est soigné parfaitement par des soignants bienveillants
. Mais son expérience lui a appris à poser un autre regard sur son métier, lui qui s’est aperçu de ce qui le passionnait : soigner les gens qui sont décalés de la société, qui ne sont pas dans le même monde que nous
. Au risque de choquer, l’infirmier nous livre son expérience, sans fard. Les prisons sont le monde de l’ambivalence, rien n’y est blanc ou noir, tout y est plus complexe. C’est une difficulté qui est réellement dure à entendre mais des gens qui ont fait des crimes et qui ont fait du mal peuvent être parfaitement intéressants, drôles, charismatiques, beaux… Il y a vraiment du bon à prendre chez tout le monde. J’ai rarement vu un patient chez qui il n’y avait que du mauvais.
Et ses patients ne s’y trompent pas. Il y a un remerciement qui revient souvent lors des départs des patients c’est : Je remercie l’équipe soignante parce que je me suis senti comme un patient normal. Comme un patient qui n’est pas un détenu
.
Reportage sonore :
Susie BOURQUINJournaliste Infirmiers.com susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin
Note
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