On se dit tout…
Publié le 15/06/2022
Cécile Bergot, cadre supérieure de santé – Hôpital Sainte-Anne – GHU Paris psychiatrie-neurosciences
Quels sont les principaux atouts de la psychiatrie ?
Cécile Bergot : « Le stage en psychiatrie obligatoire pendant notre formation reste finalement une expérience bien courte. Cette spécialité présente l’avantage de nous balader d’un univers à un autre et approfondir ses connaissances et ses compétences. Nous ne sommes pas enclavés dans un parcours fermé. Enfants, adultes, personnes âgées, troubles alimentaires, schizophrénie : la santé mentale est un univers passionnant. On la retrouve à tous les âges de la vie. Ma première rencontre avec la psychiatrie a finalement eu lieu tout de suite après ma formation et cela a été pour moi une révélation. J’y ai trouvé des professionnels très impliqués, très engagés dans l’approche des gens avec un regard extrêmement bienveillant sur la personne. Cela a été une belle rencontre après trois années d’études dans l’action en permanence, souvent dans des services d’urgence ou les soins généraux priment. Dans ces services, l’accumulation des actes techniques nous laisse finalement peu de temps pour porter de l’intérêt à la personne. »
Comment avez-vous fait ce choix ?
C.B : « Je suis arrivée par hasard à la santé mentale sans imaginer un instant au départ prendre ce virage de la psychiatrie. Je pensais partir en MCO. J’ai saisi le premier contrat. C’était en psychiatrie et 30 ans après j’y suis encore. Comme tout le monde, j’ai pris mon premier poste en psychiatrie avec quelques appréhensions qui correspondent à celles que ressentent les nouveaux infirmiers encore aujourd’hui. Je parle de représentations de la santé mentale instaurées et largement relayées par les médias. Pourtant, l’exercice y est totalement fascinant et j’ai rapidement tourné le dos à ces représentations qui ne correspondent absolument pas à la réalité de l’exercice des soins en psychiatrie. J’ai découvert que cette discipline allait me permettre de prendre en compte la personne dans sa globalité, avec son histoire, sa famille et son environnement. J’ai ensuite travaillé une dizaine d’années dans un service spécialisé somatique pour les patients atteints de pathologies mentales. Cela a été une expérience passionnante m’offrant la possibilité de porter ce regard d’un point de vue somatique en prenant en compte les spécificités de ces pathologies psychiatriques. Ce métier nous permet vraiment d’évoluer, de participer à des travaux de recherche pour développer de nouvelles compétences. La psychiatrie offre des parcours très enrichissants et permet de rebondir dans multiples services. Personnellement cela m’a conduit à m’occuper ensuite de troubles alimentaires dans le cadre d’un exercice de psychiatrie spécialisé non sectorisé. »
Pourquoi conseillez-vous de démarrer en psychiatrie ?
C.B : « Aucune discipline ne nous enferme. On a souvent tendance à dire qu’il vaut mieux commencer par les soins généraux avant de prendre un poste en psychiatrie. Pourtant, quand on a fait trois ans d’études et que l’on est déjà bien armé au niveau clinique, on l’est finalement beaucoup moins sur le plan relationnel. Alors j’estime que commencer une première expérience d’infirmier en psychiatrie nous permet d’approfondir toute cette démarche relationnelle, de prendre en compte la personne dans sa globalité et développer cette écoute. Ce regard, cette capacité à pouvoir aussi interpréter l’émotion de l’autre, savoir la mettre à distance et l’intégrer dans une prise en charge font partie des choses que l’on apprend en psychiatrie. Cela me parait encore plus parlant aujourd’hui puisque dans les services de soins il y a moins de personnel, les infirmiers se comptent sur le bout des doigts. En arrivant, les jeunes diplômés s’occupent d’une trentaine de patients, courent d’une chambre à l’autre. Ils sont souvent en difficulté, car ils ne perçoivent pas la détresse, ne parviennent pas à décoder le non verbal. De petites choses qui complexifient la prise en charge imposent plus de temps. On risque surtout de passer à côté de l’essentiel et c’est normal, car cette perception ne peut pas être intégrée en trois ans d’études et encore moins dans les services où l’action est permanente. Une expérience en psychiatrie permet vraiment de cultiver cette approche plus humaniste du soin. On est dans une démarche de partenariat avec le patient invité à devenir un réel acteur de sa prise en charge. Une expérience en psychiatrie peut être une révélation et démarrer systématiquement par du MCO est selon moi clairement une erreur, car c’est se passer d’une expérience exceptionnelle. Cela permet aussi de mieux connaitre sa propre sensibilité pour mieux la gérer. »
Propos recueillis par Laurence Mauduit