Tant qu'il y aura de belles choses...
Publié le 16/01/2018
En ce début d'année 2018, nous aurions pu choisir de relayer, une fois de plus, de tristes expériences vécues par la communauté soignante, de partager des coups de gueule qui s'apparentent plutôt maintenant à des coups de sang tant les conditions de vie au travail sont devenues insupportables pour nombre d'entre vous. Nous aurions pu, oui, mais nous avons choisi de ne pas commencer l'année ainsi, mais plutôt de nous arrêter un instant sur une équipe soignante en psychiatrie qui, sous l'oeil bienveillant de la photographe Sylvie Legoupi, fait rimer de façon réjouissante soins et humanité, expertise clinique et cohésion d'équipe. Un reportage vivifiant à bien des égards que nous vous invitons à découvrir et à partager à votre tour !
Deux titres, explicites, auraient été à l'image de la communauté soignante en ce début d'année 2018 pour cet édito : « Blues blanche », voire pire encore « La loose blanche ». Nous aurions pu, oui, écrire et relater, une fois encore, combien les soignants sont aujourd'hui en souffrance. En effet, tel est notre devoir, à vos côtés, que d'accompagner vos états d'âme, vos humeurs, afin de mettre en perspective tout ce qui fait le cœur de métier infirmier et en constitue sa sève, son sel, son piment… du plus doux au plus amer. Nous savons bien que les attentes sont aujourd'hui nombreuses, d'autant parce qu'elles sont récurrentes : des conditions de travail dignes et qui permettent de délivrer des soins en honorant les valeurs pour lesquelles vous vous êtes engagés ; une reconnaissance de compétences qui rime avec valorisation d'un engagement total envers l'autre, cet autre vulnérable parce que souffrant ; des moyens humains à la hauteur des besoins, à la ville comme à l'hôpital, en soins généraux, spécialisés comme dans le médico-social… et tant de choses encore.
"Chacun travaille avec ce qu'il est, ses perceptions, sa place et cela fait la richesse de l'équipe soignante et des compétences qui s'y déploient."
« Frères humains qui à côté de nous vivez... »
Nous avons choisi de ne pas commencer l'année ainsi, assumant parfaitement ce choix, mais plutôt de glisser nos pas, une fois encore, dans ceux de la photographe Sylvie Legoupi (cf. encadré) qui nous entraîne au cœur de l'unité Chamoise du Centre Psychothérapique de l'Ain où les soignants déploient tout leurs savoir-faire et leur savoir-être. Ce reportage audio/vidéo/photo dans l'univers de la psychiatrie nous aide à penser que tout ne va pas si mal, que la relation à l'autre et la posture soignante sont encore riches d'authenticité et de partage pour construire un demain à la hauteur de vos espérances et de celles de vos patients. Sylvie Legoupi nous offre un reportage magnifique et émouvant intitulé « Frères humains qui à côté de nous vivez... ». Sans nier la souffrance, ni la dureté des lieux, elle nous montre toute l'intensité des rapports humains qui s'y déploient. Bienveillance, bientraitance et humanité… son travail rend hommage à la dimension humaine et affective du travail en psychiatrie, dans sa juste distance.
"Certains patients vont te redonner le sourire, quand ils vont mieux et que tu les as accompagné vers un peu de lumière…"
Directeur médical de l'unité, Directrice des soins, cadre supérieur de santé, patients, ils s'expriment au fil des images qui illustrent une phrase, un propos, une analyse, un souvenir… autant de petits instantanés témoignant de la vie d'un service de soins dans tous ses états. Visages, postures, détails d'un décor, phase de concentration lors d'une réunion, éclat de rire à l'occasion d'un bon mot ou d'une activité ludique partagée… Baby foot, fous rire, discussions au milieu d'un couloir ou à la porte du bureau de soins… Les mots de chacun nous font du bien, comme en témoignent ces quelques exemples. Ils nous ramènent avec simplicité au cœur du métier de soignant et à ce qui en constitue son engagement :
- « Quand on met quelqu'un en chambre d'isolement, il faut que l'on ait réfléchi en équipe, ce n'est pas une décision sans conséquences. De plus, c'est vraiment le dernier recours quand tout ce qui a été essayé s'est soldé par un échec. Alors oui, là, on met parfois en place la contention. Mais avec ces réflexions sur nos procédures et sur nos façons d'agir et d'interagir avec les patients en crise, on a divisé par 11 le taux d'occupation de la chambre d'isolement… »
- « Il y a des moments où la personne soignée n'est pas bien, on perçoit alors si elle a besoin, ou non, de notre présence à ses côtés. J'aime ce travail avec le ressenti, subjectif, intuitif parfois. Chacun travaille avec ce qu'il est, ses perceptions, sa place et cela fait la richesse des équipes et des compétences qui s'y déploient. »
- « Nous accompagnons les patients dans leur quotidien, dans leurs symptômes... on leur sert aussi de miroir en essayant d'inhiber ce qui fait leurs troubles. On est là, présent à tout moment et en toutes circonstances pour parler… Utiliser l'humour nous permet de dire une vérité de façon plus supportable en ayant toujours à l'esprit que ce monsieur n'est pas que schizophrène, c'est une personne qui souffre de schizophrénie, elle doit donc être accueillie comme une personne à part entière avec sa part de folie et normalité. »
- « Ici, c'est pas des numéros de chambre, c'est pas des noms, c'est humain, certains patients vont te redonner le sourire, quand ils vont mieux et que tu les as accompagné vers un peu de lumière… on travaille vraiment aujourd'hui pour le patient, pour l'aider… Et si nous on était mal, qu'est-ce qu'on voudrait pour se faire du bien. Le patient est le centre de tout, la psy c'est plus comme avant, c'est plus ouvert et on aimerait pouvoir l'amener encore plus loin … »
- « On apprend tout le temps et toutes les approches sont bonnes à prendre. Je suis un infirmier tuteur, un « infirmier pantoufles »… je « traîne » parfois avec calme et j'observe. Ici pas d'hyperactivité, vivre au même rythme que les patients c'est aussi les respecter, ne pas les bousculer et donner le tempo aux nouveaux arrivants : pas la peine de courir pour aller faire une toilette ! »
Le mot de la fin de ce reportage : « Carpe Diem », « cueille le jour présent »… soignants comme soignés, c'est ici ce qu'ils font dans le respect de chacun avec un grand professionnalisme et en toute bienveillance ; un bel exemple pour démarrer l'année 2018 de façon vivifiante !
Regardez le reportage audio/ vidéo/photo de Sylvie Legoupi « Frères humains qui à côté de nous vivez... »
L'oeil humaniste de Sylvie Legoupi...
Toute la subtilité du travail d'un photographe réside dans ce qu'il nous montre et ce qu'il ne nous montre pas. Sylvie Legoupi excelle dans cet exercice souvent « sur le fil » où son intégrité révèle la grande qualité éthique qui imprègne et caractérise ses reportages. Rappelons-le, la photographe s'est déjà interessée à ces unités hospitalières « sensibles » telles que la néonatologie, les soins palliatifs ou l'hématologie où le rapport à l’autre - ou plutôt le souci de l’autre qui est le propre de notre humanité - prend tout son sens car aucune autre profession que celle de soignant n’impose une telle proximité quotidienne avec le corps souffrant de l’autre. Elle nous a également montré ce qui nous est rarement donné à voir avec autant de justesse, et force de détails, la confrontation à la mort de l'autre, cet autre qui nous ressemble, cet autre qui vit ses derniers moments avec ses propres ressources, apaisé ou angoissé, accompagné des siens ou isolé socialement. Plus récemment, elle allait plus loin encore en poussant la porte de la chambre mortuaire du CHU de Rennes, pour un hommage appuyé aux agents qui y évoluent.
Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern