Formation infirmière - Dispense d’un an de formation pour les aides-soignants expérimentés
Publié le 21/08/2023
Sous certaines conditions, les aides-soignants expérimentés souhaitant intégrer la filière de formation infirmière seront bientôt exemptés de la première année de formation. Un arrêté paru au Journal officiel du 5 juillet détaille les modalités de ce parcours spécifique qui sera ouvert dès la rentrée de septembre prochain dans les quatre régions ayant des Ifsi en proposant une en février.
Paru au Journal officiel le 5 juillet dernier, l’arrêté du 3 juillet 2023 modifiant l’arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier fixe des modalités d’intégration directe à la deuxième année de formation pour les aides-soignants qui seraient intéressés de poursuivre dans cette voie. Tous ne peuvent toutefois y prétendre. En effet, seuls « les aides-soignants disposant d'une expérience professionnelle en cette qualité d'au moins trois ans à temps plein sur la période des cinq dernières années à la date de sélection et qui ont été sélectionnés par la voie de la formation professionnelle continue, peuvent, à la suite d’un parcours spécifique de formation de trois mois validé, intégrer directement la deuxième année de formation d’infirmier ». En pratique, « pour être éligibles à ce parcours spécifique », ces derniers doivent non seulement « se porter volontaires et être retenus par l’employeur à cette fin » mais aussi « s’acquitter des droits d'inscription auprès de l’établissement d'affectation », selon les modalités applicables aux candidats relevant de la formation professionnelle continue.
« En cas de congé de maladie, de maternité, de paternité ou d'adoption, le bénéfice du parcours spécifique peut être conservé pendant une année supplémentaire. »
C’est en février 2024 que les premiers aides-soignants éligibles à ce parcours devraient intégrer les instituts de formation en soins infirmiers, et ce après un parcours préparatoire de trois mois mis en place dès cet automne. À noter : ce parcours spécifique de formation sera d’abord initié dans les quatre régions ayant des Ifsi proposant une rentrée au mois de février, avant d’être déployé au sein d’autres régions à la rentrée 2024. La Direction générale de l’offre de soins (DGOS) évoque une cible d’environ 1 000 aides-soignants intégrant ce parcours spécifique par an.
Des organisations représentatives de la profession vent debout
Dès la parution du texte, nombre d’organisations représentatives de la profession n’ont pas manqué de réagir. À commencer par la Fédération nationale des étudiant(e)s en sciences infirmières (Fnesi) qui a dénoncé « la mise en place d’une formation à deux vitesses ». Pour celle-ci, « la première année de formation n’est pas une année optionnelle », et ainsi de souligner que si « à la fin de la L1 en soins infirmiers » les étudiants infirmiers ont « la possibilité d’obtenir l’équivalence du diplôme d’aide-soignant·e (AS), la réciproque n’est pas exacte. » Et de rappeler encore que « la profession infirmière ne se résume pas à l'exécution d’actes techniques ; […] elle requiert un véritable raisonnement clinique » dont les bases s’acquièrent justement « lors de la première année ».
Non consultés par la DGOS sur ce sujet, les syndicats libéraux se sont également dit perplexes voire défavorables. Pour la Fédération nationale des infirmiers (FNI), cette mesure « interpelle » : « Faire bénéficier les aides-soignants les plus aguerris d’une dispense totale de la première année de formation en soins infirmiers, pour ceux qui souhaitent devenir IDE, a de quoi interroger. Certes, les heureux élus devront, “pour être éligibles au parcours spécifique, être retenus par leur employeur à cette fin”. Lequel décidera, en somme, de qui est apte ou pas à briguer une telle promotion. Et donc, pour cela, à suivre une sorte de remise à niveau de trois mois. » Si la FNI, comme la plupart des autres organisations, n’est pas contre le fait de favoriser les évolutions de carrière, cela ne doit pas se faire « à n’importe quel prix. […] La passerelle telle que mise en place ici n’est pas faite pour contribuer à la qualité des soins. » Pour le premier syndicat représentatif des infirmiers libéraux, ce n’est donc « ni une bonne chose ni le bon moment ». De son côté, le Sniil se demande « au moment où nous travaillons sur la réingénierie du métier [infirmier] quelle cohérence y a-t-il à rendre l’accès en deuxième année de formation des aides-soignants expérimentés » sachant que « la pénurie des AS est aussi importante et devrait donc s’aggraver dans les années à venir ». Quant à Convergence Infirmière, « en profond désaccord » avec cette mesure qui va « évidemment contribuer à l’affaiblissement de la qualité des soins », a d’ailleurs, avec cinq autres organisations professionnelles et syndicales*, depuis engagé un recours devant le Conseil d’État afin de faire annuler ce parcours spécifique de formation. « Cette décision du gouvernement va à l’encontre de la qualité des soins et entraine une perte de chance pour les patients comme le montre les études internationales », a ainsi souligné Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), en introduction d’une conférence de presse réunissant les six organisations. Et ce dernier de rappeler dans un communiqué de presse du 8 août que « le référentiel d’activité aide-soignant n’est en rien comparable avec le référentiel de formation de la première année de licence infirmière en Ifsi. » Ainsi, si « l’activité d’un aide-soignant tourne autour de l’hygiène et de l’accompagnement de la personne, [elle] ne s’apparente en aucun cas à ce qui est enseigné en première année universitaire en soins infirmiers, où l’on apprend la méthodologie, la biologie, la pharmacologie, les soins d’urgences, les thérapeutiques et notre contribution au diagnostic médical. Une dispense d’enseignement n’est possible que pour les unités d’enseignement en relation avec la compétence 3 “Accompagner une personne dans la réalisation de ses soins quotidiens”. Pour le reste, ces personnes n’auront pas l’enseignement des fondamentaux, et risquent d’avoir un déficit de compétences, qui va nuire à la prise en soins des personnes soignées. » Et d’ajouter encore : « Des chercheurs ont examiné les données de sortie de 275 519 patients post-chirurgie de 243 hôpitaux en Europe (Belgique, Grande Bretagne, Finlande, Irlande, Espagne, Suisse). L’étude montre que les patients voient leur risque de décès augmenter jusqu’à 20% dans certains services ou établissements où les infirmières dûment qualifiées ont été remplacées par du personnel moins formé. »
Autre argument invoqué : la mesure va également « à contre-sens des travaux de réforme de la profession infirmière (décret d’exercice, référentiel de compétences). Depuis 2009, la formation infirmière débouche sur un grade de licence. Former des personnes en deux ans, sans être forcément titulaire du bac, est également à rebours du processus d’universitarisation (licence du métier socle, master pour les infirmières spécialisées Iade, Ibode, IPDE et IPA). »
Affaire à suivre alors qu’un nouveau ministre est désormais à la tête du ministère de la Santé et de la Prévention.
Valérie Hedef