Coronavirus : portraits croisés de deux soignantes qui ont repris du service

Publié le 09/04/2020

Ils sont nombreux, anciens soignants reconvertis ou bien devenus chefs d’entreprise, retraités, et même députés à avoir repris le chemin de l’hôpital pour appuyer les équipes en première ligne contre l’épidémie de coronavirus. Deux d’entre eux, une infirmière devenue députée et une ancienne aide-soignante devenue illustratrice, nous racontent leur volonté de revenir à leur premier métier pour aller renforcer les équipes, l’urgence même à le faire, et ce qu’elles ont vu sur le terrain.

"J’ai eu l’impression d’être sur un champ de bataille"

Emmanuelle Fontaine-Domeizel, 46 ans, députée LREM des Alpes-de-Haute-Provence, infirmière libérale de métier et inscrite sur la liste de la réserve sanitaire depuis 2014.


Emmanuelle Fontaine-Domeizel"J’ai d’abord reçu une alerte de la réserve sanitaire pour l’hôpital de Besançon (Bourgogne-Franche-Comté). Je m’y suis donc rendue du 16 au 22 mars, à six heures de route de chez moi pour soulager les équipes sur place. J’ai exercé de nuit au service des maladies infectieuses, auprès des malades atteints du Covid-19. Je n’ai pas du tout hésité. Sauf, une seconde à peine sur la question du travail de nuit : dans ma carrière j’avais fait des urgences, j’avais longtemps travaillé de nuit et je m’étais promis de ne plus jamais le faire. Pourtant, il y avait ce besoin et j’ai tout de suite accepté. A Besançon, on a eu tout le matériel nécessaire, masques, gants, blouses, lunettes… qu'on devait malgré tout s'efforcer d'économiser. Mais ça, les hospitaliers savent le faire ! Dans ce service où étaient hospitalisées 20 personnes, c’était l’affluence de patients et il m’a semblé que ceux qui arrivaient étaient de plus en plus jeunes.

Puis, c’est l’hôpital de Manosque (Provence-Alpes-Côte d'Azur) qui m’a demandé de venir comme j’avais eu l’expérience de Besançon, pour la mise en place de l’hygiène et de la sécurité des agents, et pour aider à l’organisation des services. Les deux hôpitaux n’en sont pas au même moment de l’épidémie. A Besançon on était submergé de patients, à Manosque ils vont arriver. Depuis une semaine donc (à Manosque) je forme tous les agents. Au début je passais dans les services et puis je voulais aller plus vite avant l’affluence de patients Covid, alors j’ai proposé à la directrice des soins d’organiser des formations où l’on pouvait convier plus de monde. L’expérience que j’ai vécue à Besançon me permet de transmettre des informations tout à fait pratiques, comme par exemple le collage d’étiquettes sur les chaussures avec le numéro du service, pour gagner en efficacité et ne pas avoir à chercher le numéro dans sa poche une fois dans les chambres (l’astuce d’une infirmière de Besançon), ou bien comment faire sortir des tubes d’une chambre puisqu’on ne peut en théorie rien en faire sortir. Donc c’est vraiment de la méthodologie : quel est l’équipement demandé pour pénétrer dans une chambre, comment on retire cet équipement... Puis je passe dans tous les services pour adapter ces conseils sécurité et hygiène à chacun d’eux. Par exemple, je suis allée avec une hygiéniste en maternité, où se trouve un bloc d’accouchement, et on a vu comment organiser le travail des équipes avec une femme qui accouche et qui serait Covid positive. On a passé en revue toute l’organisation du bloc, détaillé toutes les contaminations possibles (des surfaces, des charriots) pour anticiper. On réfléchit ensuite à la mise en œuvre des protocoles et on valide tout cela par écrit pour que tout le monde puisse y faire référence.

Tout cela, je l’avais appris dans le service des maladies infectieuses à Besançon. Les petites combines d’infirmières, ASH et aides-soignantes m’ont beaucoup aidé et puis j’ai pu observer et poser beaucoup de questions sur l’organisation de l’hôpital pour faire face à l’épidémie. Je garde d’ailleurs contact avec des cadres de santé et des infirmières de Besançon, pour avoir des informations sur leur état de santé et moral et puis pour partager leurs avancées sur l’organisation.

"Pendant les rares moments de relâche, on s’inquiète : et si j’attrape ce virus, si je le transmets à mes enfants…"

Mes deux expériences à Besançon et à Manosque sont assez différentes. A Besançon, j’ai vu une activité au plafond. On ne cessait d’être actifs. Sur le terrain, vous foncez et vous savez ce que vous avez à faire, les gestes à effectuer. J’ai pu voir aussi une solidarité, une entraide comme jamais je n’ai vue à l’hôpital. Pendant les rares moments de relâche, on s’inquiète : et si j’attrape ce virus, si je le transmets à mes enfants… C’est lorsqu’on a vu des gens plus jeunes en activité et des soignants arriver comme patients atteints du coronavirus que l’anxiété s’est accélérée car on pouvait s’identifier à eux. Et en plus ces personnes sont allées en réanimation…

A Manosque, c’est un peu différent : on est en train de se préparer à l’affluence. Donc on a plus le temps de réfléchir, pour le meilleur et pour le pire, en fonction des nombreux retours que l’on a de tout le pays. Par contre, on sent les soignants dans l’attente de quelque chose qu’ils ne connaissent pas et c’est très anxiogène. On se dit qu’on a été épargnés mais on sait que cela va arriver. En tant que députée, j’avais gardé mon cabinet médical (j’ai monté une maison médicale avec des kiné…), espérant pouvoir continuer à exercer, mais ma fonction ne me l’a finalement pas permis. Dans les gestes cela faisait donc deux ans et demi que je n’exerçais plus, mais dans le cœur, je resterai infirmière, comme si c’était dans mes cellules, jusqu’à ma mort. Sincèrement, juste avant de reprendre c’est normal et c’est bien de douter, mais je suis rentrée dans le service, et je vous assure, je n’avais absolument rien perdu, c’était assez étonnant d’ailleurs. On m’a envoyé des patients durs à piquer et tout s’est parfaitement bien passé. C’est comme le vélo, ça ne se perd pas ! J’avais surtout peur d’un point de vue informatique et thérapeutique, d’être un peu dépassée, mais j’ai eu la chance de travailler en binôme. Ça m’a donné du souffle d’arriver dans ce service, j’étais chez moi.

"Ce qui m’a marqué à Besançon, ce sont ces hommes et ces femmes qui luttent, ça a résonné en moi, quand le président a dit "Nous sommes en guerre", j’ai compris. J’ai eu l’impression d’être sur un champ de bataille."

Il y aura indéniablement un avant et un après cette épidémie. C’est évident. On est aujourd’hui en train de matérialiser ce que tous les soignants et nous, députés, répétons depuis des années. S’il y avait une leçon à tirer ? Il y a des choses qui sont essentielles dans la vie, comme la santé, et elle est assurée par des soignants qui sont là 7 jours sur 7, 24h sur 24. On a un système de santé en souffrance, mais costaud dans son organisation générale. Moi je vois un hôpital aujourd’hui, à Manosque, où l’on recrute, où l’on commande du matériel et la société toute entière est en train de prendre vraiment conscience de cet essentiel-là, de l’importance de la sécurité des soignants, de leur confort… on réalise que derrière cette grosse machinerie de santé, il y a des humains alors que les soignants le crient depuis des années.

Après trois semaines de reprise de service, je n’ai pas peur non, mais je me sens déterminée sur ce que je dois donner à ce moment-là. Beaucoup de gens m’ont touchée : des soignants m’ont fait part de leur souffrance à l’hôpital et de leur manque de reconnaissance. Tous les soirs à 20h vous applaudissez des gens qui depuis toujours sont auprès des malades, disent-ils. Ce qui m’a marqué à Besançon, ce sont ces hommes et ces femmes qui luttent, ça a résonné en moi, quand le président a dit Nous sommes en guerre, j’ai compris. J’ai eu l’impression d’être sur un champ de bataille. Il y avait du matériel accroché sur tous les murs, des soignants habillés de la tête au pied, des cadres épuisés, inquiets, une agitation dans le service de jour comme de nuit. Je n’avais jamais vu ça. C’était des gens qui partent au front. Qui savent – malgré toute la sécurité mise en place – qu’ils sont face à une pandémie qui, aujourd’hui, tue. Des hommes et des femmes qui entrent dans les chambres, sachant qu’ils sont en première ligne. Des gens qui n’hésitent pas à dire qu’on peut les rappeler si besoin sur leurs jours de repos. Je ne suis pas inquiète pour le moment qu’on est en train de vivre. On sera tous à la hauteur de ce qu’on peut donner. On sait faire et on est assez déterminés. Par contre, je me dis qu’il y aura aussi le demain et on n’est pas à l’abri d’un craquage des professionnels de santé. Et il y aura aussi l’après-demain… Le président s’y est engagé. Je lui fais confiance pour la suite. On saura tous le lui rappeler."

Crédit photo : Soskuld.

"J’étais épuisée à la fin de la journée"

Solange, 34 ans, ex aide-soignante à l’hôpital public (en gériatrie, en soin de suite-réadaptation et en chirurgie orthopédique) devenue illustratrice à plein temps il y a cinq ans. Son site : Soskuld

"Retourner à l’hôpital. C’était une idée qui me trottait dans la tête en voyant la crise s’aggraver. Je n’étais pas inscrite à la réserve sanitaire mais j’ai pris cette initiative personnelle. Une ancienne collègue m’a contactée et m’a raconté que tous les services étaient en train de se transformer en service Covid (médecine et réanimation). Quand elle m’a dit ça, ça m’a donné l’impulsion qui me manquait pour aller aider. Je me suis inscrite sur medGo, une plateforme qui propose des missions de remplacements dans les hôpitaux qui manquent de personnels. On s’inscrit, on remplit sa fiche, puis des demandes sont envoyées, adaptées à votre qualification, vous indiquez votre disponibilité et choisissez des missions. C’est ce que j’ai fait. J’ai eu quelques interrogations avant de me lancer. Pour deux raisons. La première c’est que je n’ai pas pratiqué depuis 5 ans. J’avais peur de me retrouver complètement perdue et d’être plus un poids qu’un soutien pour l’équipe. J’ai posé la question sur Twitter et beaucoup m’ont dit que ça revenait très vite. La deuxième raison c’est que j’allais intégrer un service de médecine Covid. Ce qui me faisait peur c’était d’aller au contact de gens malades. Je savais que j’allais être dans un service d’environ 20 patients, je savais que j’allais être accompagnée mais en réalité je n’avais pas idée de ce qui m’attendait. Malgré cette appréhension, je n’ai pas hésité longtemps.
J’ai arrêté le métier par choix, mais là, il y avait vraiment besoin de l’aide de tous. Moralement, je ne pouvais pas ne pas y aller. Ma famille ? Elle est plutôt admirative. Mes proches ont peur aussi, je m’en veux de leur imposer cette inquiétude là, mais je ne peux pas faire autrement. Moralement pour moi, c’est difficile de ne pas essayer de faire quelque chose. A mon petit niveau je devais essayer d’aller aider comme je pouvais.

J’ai donc pris une vacation de 12h et intégré pour une première journée un service de médecine Covid dans une clinique privée à Port Marly (dans les Yvelines) qui a ouvert deux unités Covid pour alléger les hôpitaux. Nous étions 3 binômes infirmier-aide soignants répartis sur 3 secteurs pour 20 patients au total (et donc 6 patients par binôme). Le but c’est d’être un nombre efficient. Nous étions tous vacataires ou presque, ou bien des soignants qui venaient d’autres régions. Quand on arrive, on se rend compte que les gens ne connaissent pas plus les lieux et les outils informatiques que nous…

"J’étais épuisée à la fin de la journée. Aujourd’hui j’ai l’impression d’avoir fait un marathon."

Tous s’est bien passé, mais le travail est épuisant, surtout à cause des protocoles d’hygiène qui sont drastiques. On passe son temps à s’habiller et se déshabiller : on porte une tenue à usage unique à laquelle on ajoute une sorte de surchemise également à usage unique qu’on garde la demi-journée. On avait des masques FFP2, un seul par jour à disposition pour économiser les stocks, que j’ai donc gardé 12h. Ça blesse le nez. Ce matériel n’est pas fait pour être porté sur de longues durées comme ça, donc ça fait mal. Le fait de travailler en protection intégrale tient aussi très chaud. Les allers-retours pour s’habiller sont incessants et on prend aussi un certain temps pour s’habiller à chaque fois. En plus, ça complique les soins, parce que pour chaque chambre, il faut encore rajouter des lunettes anti-projections (visières). J’étais épuisée à la fin de la journée. Aujourd’hui j’ai l’impression d’avoir fait un marathon.

"Ce qui est impressionnant, c’est le nombre de patients qui arrivent et le fait d’avoir à transférer certains d’entre eux en réanimation, sans quoi ils meurent !"

Le travail auprès des malades consiste surtout à assister l’infirmière (prise des constantes, médicaments, aide à la toilette parfois, beaucoup de désinfection aussi). L’âge moyen des patients tournait autour de 50-60 ans, le plus vieux d’entre eux avait 93 ans, avec quelques jeunes de 40 ans. Je n’ai pas vu de très jeunes. Il y a aussi, heureusement, des gens qui sortent du service pour rentrer à domicile. Ils viennent chez nous parce qu’ils sont en détresse respiratoire ou parce qu’ils souffrent d’une asthénie très importante. On s’assure qu’ils soient bien hydratés, on leur administre du paracétamol ou des antibiotiques pour éviter la surinfection. Lorsqu’ils ont du mal à manger, on leur donne aussi des compléments alimentaires. Quand ils s’améliorent, ils retournent chez eux, avec des instructions claires (ils doivent rester confinés pendant au moins 15 jours). S’il y a une aggravation, on est obligé d’envoyer les patients en réanimation. On les surveille vraiment comme le lait sur le feu.

Ce que j’ai pu voir du covid-19 : il s’agit d’une grosse pneumopathie avec un potentiel d’évolution beaucoup plus grave. Les patients souffrent d’une fatigue extrême, de douleurs, de difficultés à respirer, d’une toux très très importante et sèche. Ce qui est impressionnant, c’est le nombre de patients qui arrivent et le fait d’avoir à transférer certains d’entre eux en réanimation, sans quoi ils meurent ! On fait donc aussi beaucoup d’écoute des patients qui s’inquiètent. Quand on peut répondre, on le fait. Il y a énormément d’angoisse parce que c’est une maladie grave et que les gens le savent. Nous même, on doit gérer notre propre angoisse. Malgré toutes les protections, on a un peu peur. On y pense, vu la contagiosité de ce virus. C’est pourquoi c’est important d’avoir des tests plus rapidement.

Le premier jour est le plus dur. On est un peu perdu, on ne sait pas où sont les choses. Je ne savais pas à quoi m’attendre. Ce premier jour passé, je sais ce que j’ai à faire. Les gestes étaient moins assurés qu’avant, mais j’ai fait très attention à ce que je faisais et ça revient plutôt vite. J’ai prévu de consacrer deux jours par semaine à aider, dans le même service pour éviter de propager la contamination. Entre-temps, je vais récupérer… Je n’ai plus d’endurance, c’est très dur physiquement surtout, mais ce n’est pas ça qui va m’arrêter. Si j’avais un message à faire passer ? Pour désengorger les services, il faut que les gens restent chez eux. Le turn-over de patients est énorme. Dès qu’un lit se libère, il est repris par une nouvelle personne contaminée. On est en rush total. Ça n’a pas arrêté de toute la journée. Il est vraiment primordial que les gens respectent le confinement. Ça ne vaut pas le coup de risquer sa vie, juste parce qu’on n’a pas envie de respecter les règles. C’est jouer à la roulette russe".

Témoignages recueillis par Susie Bourquin Journaliste infirmiers.com