L’après COVID19 : les soignants seront-ils encore et toujours négligés ?
Publié le 22/04/2020
Soignants hospitaliers et du secteur de ville, sapeurs-pompiers, ambulanciers… ils sont actuellement tous en première ligne dans la prise en charge de l’épidémie du COVID 19. Ils accompagnent, aident, protègent et soignent la population qui compte sur eux et leur disponibilité sans faille. Pour tous, de longues et difficiles heures de travail qui s’effectuent au coeur d’un système de santé "surpris" par la montée en puissance de cette pandémie, "étranglé" et en manque cruel de moyens matériels et humains. Après cette crise historiquement douloureuse, ils attendront des actes, forts, au-delà des remerciements d’usage...
"Nous sommes de la chair à canon"
Pour les soignants, imaginer vivre une première pandémie mondiale peut avoir comme un goût d’aventure stimulante, suivi de quelques petites montées d’adrénaline. Mais la réalité change vite la donne. Lorsqu’ils y sont confrontés, massivement et dramatiquement, la réalité est toute autre alors que l’urgence sanitaire
est là et qu’ils accueillent les premiers patients. Dans la plupart des établissements de santé de France, la prise de conscience du manque de masques est apparue précipitamment. La quasi-totalité d’entre eux, rappelons - le, sont périmés des années précédentes, voir même de 2013. D’autres sont même moisis dû aux longues années de stockage. Les respirateurs artificiels manquent. Certains patients attendent un lit en urgence depuis la veille. Les services ressemblent désormais à une fourmilière géante où les soignants ont à peine le temps de s’échanger des regards épuisés avec un mélange de compassion. Les photos parues dans les médias italiens d’infirmier(e)s au visage brûlé par les frottements du même masque porté toute une journée deviennent une réalité en France. Avouons-le, un masque FFP2 est devenu une denrée rare dans un pays pourtant sur développé...
Puis il arrive le moment où certains soignants voient que l’un de leurs collègues, sans antécédents particuliers, hospitalisé à son tour en réanimation, en décubitus ventral, intubé et ventilé depuis plusieurs jours. Cette pensée les habite alors. Cependant, ils n’en parlent que très peu par discrétion mais aussi par évitement car la réalité les frappe trop violemment.
Finalement, pour un soignant, cette première pandémie mondiale a un goût amer. Puisque nous sommes en guerre sanitaire
comme le dit notre Président, nous sommes surtout de de la chair à canon
, envoyés au champ de bataille. Un champ de bataille où les directions d’hôpitaux tentent de déployer les meilleurs moyens possibles pour faire face à la crise mais pris de court. Les 35 heures hospitalières (elles n’ont d’ailleurs jamais vraiment existé dans certains services) peuvent passer aux 60 heures par semaines par manque de soignants avant l’arrivée de certains renforts.
Une réalité écrasante
Les premières semaines, les équipes sont déjà exténuées. Elles attendent avec impatience la réserve sanitaire ou les renforts de l’armée. Bien qu’épuisées, elles sont encore debout et continuent d’avancer. Certains parents exercent avec la culpabilité d’avoir encore levé leurs enfants à 5 heures du matin pour les confier à la crèche de l’hôpital. Un endroit où les premières fois ne seront pas vécues par Papa ou Maman mais par une puéricultrice aussi exténuée qu’eux. Ils se sentent bien plus coupables de ne pas pouvoir embrasser leur enfants le soir car la peur d’être porteur du virus et de le leur transmettre est trop préoccupante.
Les journées sont difficiles, mais elles sont bien plus éprouvantes lorsque la mort s’accroche à un patient alors que les soignants se sont battus de longues heures pour le raccrocher à la vie. Voir mourir un patient sans être accompagné de sa famille est également trop difficile à vivre. Quelquefois et discrètement, les soignants dérogent à la règle du confinement en autorisant une famille à venir auprès de leur proche, père, mère, conjoint, pour ses dernières heures de vie. D’autres fois, ce sont les familles qui refusent par peur de contracter cette maladie.
"Après la crise, un plan massif d’investissement et de revalorisation des carrières sera construit pour notre hôpital. Nous vous le devons - E. Macron. 25/03/2020"
Le manque de moyen matériel et humain, en plus du traumatisme vicariant (un traumatisme inconscient vécu par procuration) et du syndrome d’épuisement professionnel, engendre un stress permanent et bien plus important sur le moral et la santé psychique des soignants. Dans un service, on ne le sait que trop, la surcharge de travail, le manque de moyen et la pression grandissante de satisfaire au mieux les uns et les autres dans leur équipe génèrent un stress permanent. Le malaise et la peur d’être confronté à la problématique d’un triage de catastrophe, à la question de Faudra-t-il choisir qui sauver et qui laisser mourir ?
est vécu par le personnel soignant comme un traumatisme supplémentaire. Traumatisme encore renforcé par cette confrontation permanente à tous ces décès auxquels les soignants ne s’habituent jamais. Ces expériences douloureusement vécues engendreront un risque psycho-traumatisme réel qu’il faudra surveiller de près. Aucun soignant n’est à l’abri d’en souffrir car il est déjà fatigué et travaille depuis trop longtemps sous pression. Même si les cadres de santé essaient de faire au mieux et de motiver leurs équipes. Cette fois çi, le stress est pire qu’une catastrophe car il n’est pas ponctuel mais constant pour les professionnels de l'hôpital. Il peut donc conduire à la rupture face à des responsabilités lourdes, anxiogène et la perte de repère lorsque les services sont transformés du jour au lendemain en Réanimation COVID
Bien sûr, on les encourage à prendre soin d’eux même par l’intermédiaire de dispositifs d’accompagnement psychologique ou de cellule de suivi et d’écoute que les établissements ont mis en place. Mais encore faut-il qu’ils trouvent le temps face à cette surcharge de travail, ne pas avoir peur de lever le pied et de culpabiliser des lâcher les collègues
. Le discours du Président Macron a suscité une lueur d’espoir dans leurs yeux fatigués mais ils attendront des actes, forts, une fois la crise passée.
On peut d’ores et déjà se demander si cette crise sanitaire aura un réel impact sur la considération des soignants par le Gouvernement. Seront-ils aussi vite oubliés qu’ils ont été glorifiés ? Certains d’entre eux auront-ils encore le courage de continuer, trop éprouvés ? Une chose est sûre, la crise sanitaire de 2020, majeure, laissera de grandes cicatrices chez les soignants. Il faudra des actes forts du Gouvernement pour qu’après la crise ils retrouvent le goût d’exercer, soutenus, encouragés, valorisés, et ce, bien au-delà des simples mots de remerciement.
Anthony ANDREInfirmier en service de réanimationMerci pour ses photos.